Tous à bord

Un boom dans la construction de routes et de chemins de fer devrait débloquer les goulots d’étranglement économiques. Mais est-ce viable ?

Un jet de lumières orange brille sous le soleil couchant alors que des ouvriers chinois posent la voie ferrée sur le bord sec du parc national de Tsavo, au Kenya, mettant en place une barre d’acier de 25 mètres aussi  délicatement qu’un plombage dentaire. Les hommes sont anxieux, pour une raison : les règles de sécurité peuvent les protéger contre les espions en sommeil, mais la brousse africaine n’obéit pas aux règles. Peu d’ouvriers osent s’aventurer loin de leurs camps en tôles la nuit par peur des fauves qui rôdent ; en janvier un veilleur a été mutilé par un  guépard.

China Road and Bridge Corporation, le principal entrepreneur, a ouvert un magasin sur le territoire rendu célèbre par les soi-disant mangeurs d’hommes de Tsavo. Quand les colonisateurs britanniques construisirent pour la première fois ici une ligne de chemin de fer en 1898, une paire tristement célèbre de lions mâles sans crinière tuèrent principalement environ 30 manœuvres indiens. «  Peut-être que nous aurions dû réfléchir », dit Lao Ding, un chef d’équipe.

Les défis de modernisation et d’expansion du réseau des transports africains sont multiples, mais il en est ainsi des dividendes. Le gouvernement kenyan affirme que son nouveau chemin de fer  va  stimuler  la  croissance économique à hauteur de 1,5% chaque année, notamment parce que cela réduira de 60% les coûts du transport. Le tronçon initial de 609 kilomètres, qui part du port de Mombasa à la capitale, Nairobi, lancé le mois dernier, pourra être achevé en 2017. Il continuera ensuite jusqu’à l’intérieur du Congo, où il remplacera la voie étroite construite il y a un siècle.

Selon la Banque mondiale, toutes sortes d’infrastructures améliorées à travers le continent peuvent contribuer à la croissance économique à hauteur de 2% l’an. La question à laquelle beaucoup de pays pauvres sont confrontés est, toutefois, soit donner la priorité à l’amélioration de leurs routes ou investir dans d’autres projets vitaux comme les hôpitaux, les écoles ou les lignes à haute tension. Pourtant, l’accès aux marchés, aux écoles et aux hôpitaux dépend souvent de routes bitumées éloignées des villes et des agglomérations.

Améliorer les transports est particulièrement urgent parce que le coût des marchandises en Afrique est deux ou trois fois plus élevé que dans les pays développés, d’après la Banque mondiale. Et les routes qui sont dangereuses peuvent être un tout petit peu améliorées que pas du tout. Les accidents sur les routes désagrégées ougandaises, par exemple, coûtent chaque année 2,7% du PIB du pays à travers les vies perdues et les dommages matériels, dit la Banque mondiale.

L’Afrique subsaharienne dépense quelque 6,8 milliards de dollars annuellement pour bitumer les routes, mais il est nécessaire de dépenser environ 10 milliards de dollars. Heureusement, des décennies de désinvestissement sont derrière et l’argent inonde maintenant les routes, les chemins de fer et les ports.

Le réseau routier du continent s’est agrandi en moyenne de 7 500 km par an au cours des dix dernières années. Parmi ceux qui ont goudronné le plus vite, il y avait la Tanzanie et le Lesotho, avec un accroissement annuel autour de 15% et de 24% respectivement, selon la Banque africaine de développement (BAD).

En 2016, une autoroute goudronnée reliera Le Caire et Capetown pour la première fois lorsque le dernier tronçon, dans le nord du Kenya, sera achevé. Ce sera presque exactement cent ans après la première tentative de rouler le long de cette route qui s’arrêta de manière tragique en 1914, quand le capitaine Kelsey, un officier britannique, fut tué par un léopard dans ce qui s’appelle aujourd’hui Zambie.

D’autres liaisons routières s’améliorent aussi. La grande route transsaharienne d’Alger à Lagos est achevée à 85% et pourrait être terminée cette année. Presque partout où l’on voyage en Afrique, on trouve des équipes de constructeurs de routes.

Des chemins de fer en mauvais état sont également remis à neuf, tandis que des nouveaux sont construits. La ligne Mombasa-Nairobi est l’un des trois nouveaux corridors ferroviaires encore à l’étude en Afrique de l’Est. Les deux autres sont destinés à relier Lamu, sur la côte kenyane, au Soudan du Sud et à l’Éthiopie ; et Dar es Salaam, en Tanzanie, au Rwanda et au Burundi.

L’argent pour tout ceci ne vient pas spécialement des budgets nationaux ou des agences d’aide, les sources habituelles, mais des investisseurs privés et de nouveaux prêteurs. Le plus grand pourvoyeur d’entre eux reste  la Chine, qui a récemment signé un accord avec l’Union africaine (UA) prévoyant la construction de chemins de fer à grande vitesse pour relier tous les pays africains dans les toutes prochaines décennies.

Au cours des récentes années, plusieurs pays africains ont réussi à emprunter de l’argent sur les marchés des capitaux internationaux avec un début d’émission de bons. La Zambie, qui a vendu son premier titre émis en dollar en 2012, a depuis remboursé davantage, en partie pour financer un ambitieux plan de transport qui consomme actuellement plus de un milliard de dollars par an, un septième de son budget.

Les gouvernements africains ont réuni l’année dernières 8 milliards de dollars de fonds souverains mondiaux, un milliard de plus qu’il y a une décennie. Ils sont aidés par la boulimie de rendement des investisseurs des pays riches, où les taux d’intérêt ont été revus à la baisse par les banques centrales.

Le secteur privé injecte aussi directement de l’argent dans les projets lorsque les gouvernements bradent les entreprises étatiques ou accordent des concessions pour des chemins de fer. Depuis 2009, Qalaa Holdings, une société égyptienne, a investi 234 millions de dollars dans la restauration des voies ferrées au Kenya et en Ouganda. Ensuite, les gouvernements de ces pays lui ont accordé une concession de 25 ans pour s’occuper des chemins de fer. Des villes, dont Dakar, au Sénégal, et Abidjan, en Côte d’Ivoire, ont instauré des péages pour les autoroutes et les ponts.

Parmi les plus grands investisseurs commerciaux on trouve le très riche fonds souverain angolais, qui a récemment créé un fonds de 1,1 milliard de dollars destinés aux infrastructures. « Les infrastructures ont le potentiel de générer des recettes élevées », selon le président angolais José Eduardo dos Santos. «  Nous voyons à l’horizon une rentabilité de 10% l’an pour un investissement sur  dix ans ».

Une récente saturation des projets miniers, provoquée par les prix élevés des matières premières (il y a quelques années), a laissé des traces. Le gouvernement guinéen, par exemple, a signé un accord avec un consortium dirigé par Rio Tinto qui exploite le fer sur le gisement de Simandou pour le transformer en un lieu consacré aux infrastructures ferroviaires et portuaires disponibles pour tous sur la base de l’« accès ouvert ». Cela  pourrait créer un précédent en ce qui concerne la façon dont d’autres signent des accords avec des entreprises minières.

Malgré tout, les risques sont nombreux. Les pays qui ont beaucoup dépensé dans les années 2000 pour le remboursement de la dette et qui  gèrent prudemment leurs budgets sont  en train de revenir dans le rouge. Le montant de la dette non remboursée par les États africains a atteint en une décennie 35% du Produit intérieur brut (PIB) l’année dernière, d’après le Fonds monétaire international (FMI). Il estime que les déficits fiscaux en Afrique subsaharienne étaient, en moyenne, de 3,3 % du PIB en 2014, un grand changement à partir d’un surplus de 2,5 % il y a dix ans.

Les gouvernements sont également à la merci des prix  des matières premières. Les exportations des ressources naturelles rapportent non seulement l’essentiel de leurs revenus mais elles ont aussi incité une bonne partie de l’investissement étranger. Quand les prix des matières premières chutent, comme ce fut le cas il n’y a pas longtemps, la construction des routes et des chemins de fer s’arrête souvent.

C’est juste important que la construction des nouvelles routes accompagne les réformes. Si les douaniers réduisent le temps qu’ils prennent pour le déchargement des cargaisons, cela peut rapporter des recettes aussi importantes que celles qui proviennent des nouvelles routes onéreuses. « Construire plus n’est pas toujours la réponse », dit Henry Des Longchamps à la Banque mondiale. « Les dirigeants politiques sont souvent sous pression pour livrer ce qui s’avère être des éléphants blancs. »