Livres cherchent lecteurs

Lire ou ne pas lire, telle est la question. Dans un pays où la culture est marginalisée, parler politique en matière d’édition relève de l’utopie. En attendant, les Congolais se désintéressent de la lecture et tombent dans les bras de l’inculture. 

Céleste Ipoli, une des rares Congolaises à avoir publié un livre.
Céleste Ipoli, une des rares Congolaises à avoir publié un livre.

Il n’existe pas encore de politique du livre en République démocratique du Congo. Des fonctionnaires du secrétariat général au ministère de la Culture et des Arts, interrogés sur cette question, ont dit n’avoir aucune souvenance de l’existence d’une quelconque loi en la matière. La réponse vient de Bertin Makolo Muswaswa, président de l’Association nationale des éditeurs et des diffuseurs du livre (ANEDIL) et professeur à l’université de Kinshasa. Dans un exposé, le 14 novembre, à l’occasion de la Deuxième Fête du livre à La Halle de la Gombe, il a confirmé qu’il n’existe pas encore dans ce pays de politique nationale du livre et de la lecture. Néanmoins, outre plusieurs propositions déjà formulées à cet effet, un avant-projet de loi a été transmis au Parlement. « Nous souhaitons vivement qu’à la session de mars, le Parlement puisse se pencher sur cette question. C’est d’autant plus important que cela fait partie des accords de Nairobi où la RDC, le président de la République en tête, s’est engagée à adopter le plus rapidement possible une politique nationale du livre et de la lecture », insiste Makolo Muswaswa. Pour lui, « cette loi, dont le soubassement est constitué de propositions venant de la base, va soutenir les écrivains et l’édition, accorder des facilités aux libraires, créer des bibliothèques et les enrichir de façon qu’elles fassent leur travail d’animation autour du livre, pour le soutenir et le valoriser. » Mais en attendant son adoption et sa promulgation, le pays a déjà pris quelques engagements internationaux.

Accords internationaux

Il s’agit de l’accord de Florence, en Italie, et de celui de Nairobi, au Kenya. Si Kinshasa a déjà ratifié, depuis 2005, l’accord de Florence, tel n’est pas encore le cas du protocole de Nairobi consécutif à l’accord de Florence. Cet accord, initié par l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) prévoit, notamment, l’exemption des droits de douane et autres impositions à l’importation des matières et machines servant à la fabrication de livres, publications et documentaires. Cela n’est pas encore mis en pratique en République démocratique du Congo.

L’absence d’un véritable marché du livre, la non-protection des droits d’auteur face à la piraterie et la photocopie systématique pénalisent les auteurs et les éditeurs.

Cette attitude fait dire à certains observateurs que la politique du livre et de la lecture pour laquelle les opérateurs culturels se battent, une fois adoptée, pourrait subir le sort de nombreuses autres lois qui souffrent d’un manque d’application. Pourtant, cette loi est l’un des principaux maillons manquants à la chaîne de promotion de la culture surtout en ces temps où le développement de la scolarisation doit répondre à un besoin d’intellectualisation croissante. Les gouvernants doivent soutenir l’industrie du livre par des subsides, notamment pour l’importation du papier. Le manque de soutien actuel décourage tous ceux qui sont tentés d’investir dans ce secteur.

Et si la lecture n’était pas congolaise ? 

« Si l’on veut cacher quelque chose au Congolais, il n’y a qu’à le mettre dans un livre», a-t-on coutume de dire à Kinshasa. Effectivement, la lecture n’occupe pas une place de choix dans la formation des élèves congolais, encore moins dans celle des étudiants, sans parler de ceux qui sont déjà dans la vie professionnelle. « L’absence d’une politique centrée sur la bibliothèque scolaire ou sur les livres dans le système éducatif a plongé l’enseignement dans une léthargie sans précédent», déplorait, il y a longtemps de cela, aussi le père Martin Ekwa dans son livre  « L’école zaïroise de demain ». Par conséquent, les apprenants ne bénéficient pas d’une initiation solide à la lecture dès le bas âge pour devenir, à la longue, des consommateurs du livre. Ce manque d’intérêt pour la lecture risque de se perpétuer, d’après l’éditeur Kasilembo Kyehenge, propriétaire des éditions Compod’or. « Si le public semble insensible à la lecture, à commencer par la capitale, quelle peut être la situation dans l’arrière-pays ?», s’interroge-t-il. Mais l’affirmation selon laquelle les Congolais ne lisent pas ne fait pas l’unanimité. « Méfiez-vous des déclarations à l’emporte-pièce. C’est une question de proportion. La majorité est une majorité silencieuse non lisante », relève Makolo Muswaswa, comme pour dire que la lecture au Congo est une pratique minoritaire. En d’autres termes, la lecture, en soi, n’est pas ignorée des Congolais, c’est plutôt l’utilisation du livre qui l’est. Kinshasa compte actuellement une trentaine de maisons d’édition.

Le livre ne nourrit pas son homme

Produit pour être vendu comme n’importe quelle autre marchandise, le livre en RDC doit faire face à plusieurs pesanteurs, à telle enseigne que ceux qui le créent, les auteurs et les éditeurs principalement, se découragent souvent. Les libraires, éditeurs, imprimeurs, et autres opérateurs économiques du secteur du livre semblent à bout de souffle. Ils ne cessent de se plaindre des taxes et impôts perçus à l’importation  de tous les matériaux indispensables à la production du livre et des autres imprimés. Les taxes et impôts perçus par la Direction générale des douanes et accises (DGDA) en la matière sont de l’ordre de 10 à 15 % du coût d’achat et de 16 % pour la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Entre-temps, l’impôt sur le chiffre d’affaires pour les matériels informatiques, par exemple, est fixé à 5 % seulement. Il y a, de ce fait, un manque d’intérêt des opérateurs économiques congolais pour l’édition. Ils préfèrent investir dans des secteurs plus lucratifs. L’absence d’un véritable marché du livre, la non-protection des droits d’auteur face à la piraterie et la photocopie systématique pénalisent les auteurs et les éditeurs. « J’ai un livre en cours d’édition intitulé ‘ Les Premiers ministres congolais devant le tribunal de l’histoire‘. En le vendant, je n’espère pas gagner d’argent, vu son prix : 100 dollars. C’est une hypothèse exclue d’emblée vu l’absence d’un véritable marché du livre et le faible pouvoir d’achat des potentiels lecteurs. Heureusement, une certaine couche de la population pourrait l’acheter. Ce qui en restera, c’est-à-dire une grande partie, sera stocké faute d’acheteur », se désole Kasilembo Kyehenge. Il dénonce par ailleurs la mentalité selon laquelle « l’homme congolais préfère recevoir gratuitement le livre, empêchant ainsi ce produit de devenir économiquement rentable.» Bertin Makolo Muswaswa n’ignore pas cette réalité. Il apporte toutefois une nuance en soulignant que le monde de l’édition demande beaucoup de moyens et que certains éditeurs qui en ont plus arrivent à tirer leur épingle du jeu. Lorsque les auteurs sont publiés par de tels éditeurs, ils signent avec eux un contrat qui garantit leurs gains. « Zamenga Batukezanga vivrait de ses œuvres s’il était encore en vie, car elles sont réimprimées constamment tous les deux ans », indique le président de l’ANEDIL à titre d’exemple.

Pour  Makolo Muswaswa,  la littérature joue un rôle capital dans la prise de conscience en ce qu’elle peut apporter un changement dans un pays comme la RDC qui en a tant besoin pour son développement. Par rapport à la production littéraire congolaise, il note une tendance encourageante car « nous sommes parmi les pays qui publient beaucoup. » Selon des statistiques qui remontent à 2011, la RDC a publié 100 titres, mais le tirage reste minimaliste : 1000 exemplaires par titre.

Les libraires et les bouquinistes sont unanimes : les livres religieux, la Bible en tête, se vendent bien.  En deuxième position viennent les manuels scolaires et de droit. Cependant, pour ces deux catégories, les ventes sont liées à la rentrée scolaire et académique, explique une religieuse à la librairie Saint-Paul, qui ajoute que les principaux clients de leur établissement sont les bouquinistes et les parents d’élèves. « Les bouquinistes nous achètent beaucoup de livres pour les revendre.» Elle précise que les bibles pour enfants dont les prix varient entre 3 500 et 10 000 francs sont très vendues. Ce qui pousse Saint-Paul à les imprimer en grande quantité.