Les intérêts communs priment sur toute autre considération

Après la vague de violences xénophobes qui ont secoué l’Afrique du Sud en avril, touchant beaucoup de communautés étrangères, les Congolais ont attendu en vain une réaction officielle de  leur gouvernement. Ils ont oublié que les destins des deux pays sont très liés.

Chaleureuse poignée de mains entre les présidents Joseph KABILA et Jacob ZUMA.
Chaleureuse poignée de mains entre les présidents Joseph KABILA et Jacob ZUMA.

Le 16 avril, Antoine Boyamba, vice-ministre des Affaires étrangères chargé des Congolais de l’étranger, a reçu en audience Marius Konradie, le numéro de l’ambassade d’Afrique du Sud à Kinshasa. Au menu de l’entretien, la chasse à l’homme lancée, à Durban principalement, contre les étrangers venus des divers pays africains et installés, de façon régulière ou pas, en Afrique du Sud. Ce déferlement de xénophobie a coûté la vie, officiellement, à trois Congolais, dont deux brûlés vifs à Durban. La communauté congolaise en Afrique du Sud est évaluée à quelque 400 000 personnes, selon le ministère des Affaires étrangères. L’ampleur des violences aurait poussé la République démocratique du Congo à envisager le rapatriement de ses ressortissants vivant au pays de Jacob Zuma. L’exercice s’est avéré compliqué, compte tenu de plusieurs paramètres, dont celui lié à la volonté de ces expatriés de tout laisser tomber pour regagner la mère-patrie.  Pour le numéro de l’ambassade sud-africaine, les événements ne sont  pas le reflet de  la politique officielle de son pays à l’égard des migrants africains. De son côté, le vice-ministre des Affaires étrangères chargé des Congolais de l’étranger, estime que « les relations d’État à État sont excellentes. L’Afrique du Sud est un partenaire économique et politique très important pour nous. Elle est présente dans plusieurs projets de développement dans notre pays. »

Depuis la guerre de 1996 à 1997, qui a vu Nelson Mandela, alors président de l’Afrique du Sud, mener une médiation entre le gouvernement du président Mobutu Sese Seko et les rebelles dirigés par Laurent-Désiré Kabila – les images des trois hommes assis côte à côté dans le bateau Outenica sont encore dans les mémoires – le rôle de Pretoria dans les affaires congolaises n’a cessé de s’affirmer. Au début de la dernière décennie, après l’accession au pouvoir de Joseph Kabila Kabange, c’est en Afrique du Sud que les différents belligérants se sont retrouvés dans le cadre du fameux dialogue inter-congolais qui a conduit à la signature, à Sun City, des accords de paix et de partage du pouvoir dans un gouvernement de transition. L’actuel président sud-africain, Jacob Zuma, était déjà impliqué dans les négociations, en tant que médiateur entre les différents groupes congolais.

Quand il fallu envoyer des casques bleus de l’Organisation des Nations unies en RDC à la suite de la prolifération de rébellions armées,  l’Afrique du Sud fut  l’un des tous premiers pays à avoir accepté de mettre des troupes à la disposition de ce qui s’appelait alors Mission de l’Organisation des Nations unies au Congo (MONUC), devenue MONUSCO. Et puis, en 2013, Pretoria n’a pas hésité à user de son influence pour faire aboutir l’idée de la création et du déploiement dans le Nord-Kivu, de la fameuse Brigade d’intervention qui a joué un rôle important dans la déroute des rebelles du M 23. Les Sud-Africains ne se sont pas contentés d’appuyer la mise en place de cette force, ils ont également fourni des troupes. Évidemment, tout cela n’est pas entrepris pour les beaux yeux de la République démocratique du Congo. C’est d’abord une question d’intérêts. D’intérêts économiques.

L’immigration zaïroise, puis congolaise, en Afrique du Sud a commencé avec la fin du régime d’apartheid. Elle est due à la profonde crise économique, sociale et politique que traversait l’ex-Zaïre. Pour beaucoup de cadres, médecins, enseignants, ingénieurs, mais pas seulement, l’aura de Nelson Mandela et la perspective de changer de destin étaient les éléments déterminants. L’Afrique repartait sur de nouvelles bases. La fin du racisme d’État augurait un bel avenir pour chacun. À l’époque, ceux des Zaïrois, puis Congolais qui en avaient les moyens ne s’empêchèrent pas d’acheter de belles propriétés, d’installer leurs familles, d’inscrire leurs enfants dans les universités sud-africaines. Si cette tendance s’est quelque peu atténuée, il reste vrai que beaucoup de Congolais possèdent beaucoup de biens immobiliers en Afrique du Sud où continuent à vivre leurs familles. Ce pays est aussi l’une des destinations favorites pour tous ceux qui ont des problèmes de santé.

De tous ses partenaires de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC), l’Afrique du Sud est sans conteste  l’allié le plus sûr de la RDC, que ce soit sur le plan économique ou politique. Les Sud-Africains sont présents dans divers secteurs de la vie économique : le commerce, les mines, l’immobilier, l’agriculture… C’est à des fermiers afrikaners qu’a été confiée la gestion et la mise en valeur du parc agro-industriel de Bukanga-Lonzo, dans la province de Bandundu. Ce sont encore les Sud-Africains qui s’occuperont du futur marché international de Maluku.

Depuis quelques années, l’Afrique du Sud est en butte à une crise énergétique qui l’empêche de mener à bien ses projets économiques, elle qui s’est déjà engagée sur la voie de l’émergence. De l’autre côté, la République démocratique du Congo est embourbée dans la même crise, mais elle est sans moyens pour mettre en valeur son énorme potentiel énergétique. Les deux pays se sont concertés et ont décidé de cheminer ensemble dans la recherche des solutions. Résultat,  en octobre 2013,  les deux partenaires signent à Kinsh asa le plus important accord de leur coopération : la vente d’électricité à l’Afrique du Sud.  Le projet, baptisé le Grand Inga, a été  ratifié par le Parlement congolais un an plus tard. Il porte  sur la construction d’une série de barrages hydroélectriques – sept au total – sur le fleuve Congo. À terme, ce sera le plus grand site de production d’électricité de toute la planète. Sa puissance installée sera de 44 000 mégawatts, c’est-à-dire 40 centrales nucléaires réunies. Une aubaine pour les deux pays et pour l’ensemble du continent.

L’Afrique du Sud  s’est engagée à acheter 2500 mégawatts sur les 4800 qui proviendront de la première phase (Inga 3).  Quand les sept phases seront opérationnelles, Kinshasa et Pretoria détiendront entre 10 et 15 % des actions de l’entreprise qui sera chargée du développement du site. Et puis, le Grand Inga constituera un atout majeur pour assurer la redynamisation de leurs économies. Si celle de l’Afrique du Sud est déjà sur la bonne voie et reste l’une des plus développées et des plus dynamiques du continent, celle de la République démocratique du Congo, en revanche, a du mal à décoller. À travers cette vision stratégique de leur avenir commun, les deux pays ne peuvent que se rapprocher davantage.

Pour ce qui est des échanges économiques de la République démocratique du Congo avec le monde extérieur, beaucoup pensent  qu’ils se font généralement avec le géant chinois. Pourtant, la réalité est toute différente. Si on s’en tient au dernier Rapport sur la politique monétaire en 2014 publié en février dernier par la Banque centrale du Congo, on découvre que l’Afrique du Sud est devenue le premier partenaire économique de la République démocratique du Congo, devant la Chine et tous les autres pays. La hausse des transactions entre Kinshasa et Pretoria s’explique par le fait, notamment, que l’Afrique du Sud, selon la Banque centrale du Congo, est devenue « le principal point de transit pour les échanges de la RDC avec ses principaux partenaires traditionnels ». Dans l’évolution des échanges commerciaux par principaux pays, on note qu’en 2013, en ce qui concerne les exportations, la Chine était devant l’Afrique du Sud, avec 3, 970 milliards de dollars, contre seulement 902, 5  millions de dollars pour l’Afrique du Sud. Pour les importations, au cours de la même période, Pékin était toujours en tête avec 2, 368 milliards de dollars, alors que l’Afrique du Sud  n’affichait que 1, 272 milliard. La situation a radicalement changé en 2014 : 3, 691 milliards côté sud-africain pour les exportations, contre 2, 740 milliards côté chinois ; et 2, 274 milliards pour l’Afrique du Sud, en matière d’importations, et 1, 489 milliard pour la Chine. Cette position sud-africaine est  la démonstration que les intérêts sud-africains ne cessent de monter en puissance en République démocratique. La diplomatie économique de Pretoria se porte bien malgré les turbulences de la xénophobie.