Le trafic de la faune et de la flore sauvages a la peau dure

Braconniers, forbans et autres flibustiers n’en ont cure : les différentes résolutions prises pour la sauvegarde de la biodiversité ne semblent avoir qu’un impact limité sur leurs activités. Résultat : les espèces protégées sont plus que menacées. 

Photo de famille des signataires du Traité de coopération transfrontalier.
Photo de famille des signataires du Traité de coopération transfrontalier.

La RDC, l’Ouganda et le Rwanda ont décidé de conjuguer leurs efforts pour la  préservation de la faune, de la flore et des écosystèmes, ainsi que pour la promotion du tourisme. Les gouvernements de ces trois pays ont procédé, le 22 septembre, à Kinshasa, à la signature d’un Traité de collaboration transfrontalière du Grand Virunga. Témoin privilégié de cette première : l’ambassadeur des Pays-Bas à Kinshasa, partenaire important du projet.

D’après le ministre du Tourisme, Elvis Mutiri wa Bashara, le traité GVTC est un instrument légal de haute importance basé sur les programmes et les activités touristiques exercées dans les aires protégées du paysage du grand massif des Virunga. Ce projet vise la promotion de l’éco-tourisme qui est l’un des maillons importants du secteur touristique dans ces trois pays.

Mutiri wa Bashara est d’avis que ce traité est le carnet de bord de la pratique du tourisme durable pour une meilleure jouissance de la biodiversité et du patrimoine commun.
Dans son discours lors de la cérémonie de signature de ce traité, il  a déclaré que cet accord est avant tout « le renouvellement, pour la génération actuelle, de son engagement individuel et collectif à protéger et à conserver les écosystèmes ainsi que d’autres valeurs culturelles et naturelles du grand massif des Virunga, pour assurer aux futures générations un cadre de vie sain et confortable ». Selon Mutiri, la situation actuelle est d’autant plus préoccupante au regard des menaces que les changements climatiques font peser sur l’humanité.

Avantages 

Le ministre du Tourisme est convaincu que le traité de Kinshasa va contribuer à la consolidation de l’histoire commune des trois pays de la sous-région des Grands Lacs. Premièrement, il obéit à l’obligation commune des États membres de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL) de faciliter et de promouvoir une croissance et un développement socio-économique inclusif à l’intérieur des frontières pour créer un vaste marché d’échanges et de consommation dont le potentiel est énorme. Deuxièmement, ce traité contribuera à la création d’emplois afin de consolider, à terme, la stabilité et la paix dans la région. Troisièmement, il devrait permettre au Rwanda, à la RDC et à l’Ouganda de redistribuer les recettes générées notamment par le tourisme dans la région. Quatrièmement, il devrait permettre de matérialiser un des objectifs de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba pour la paix, la sécurité et la coopération pour la RDC et la région des Grands lacs. À cet effet, le traité procède d’une approche commune, exprimée depuis dix ans par les autorités des aires protégées des trois pays, suite à la libre migration saisonnière entre les frontières de familles des gorilles des montagnes habitués aux touristes et porte- flambeau de l’éco-tourisme dans la région. Grâce à cette collaboration, la croissance démographique des gorilles est en hausse, alors qu’en 2005, ils ont été classés parmi les espèces en voie de disparition. Les aires protégées faisant partie du paysage du Grand Virunga sont au nombre de huit : deux en RDC (le parc national des Virunga et la réserve naturelle de Sarambwe) ; cinq en Ouganda (le parc national des gorilles de Mgahinga, le parc national impénétrable de Bwindi, le parc national Reine Elisabeth, le parc national des Montagnes de Ruwenzori et le parc national de Semliki); et une au Rwanda (le parc national des Volcans).

Un long processus 

Mais le traité de Kinshasa n’est pas sorti d’un chapeau magique. Selon secrétaire exécutif de GVTC, Georges Muamba Tshibasu du ministère du Tourisme, ce traité traduit « l’expression de satisfaction » des peuples de ces trois pays. Il a précisé que le projet a commencé en 1991 comme processus informel impliquant les autorités des parcs des trois pays, à savoir Rwanda Development Board (RDB), Uganda Wildlife Authority (UWA) et l’Institut congolais pour la conservation de la nature (ICCN). À partir de cette année, ces dernières ont mis en place, avec l’aide de quelques partenaires-clés, une collaboration transfrontalière dans le but de protéger les gorilles de montagnes qui se meuvent librement dans l’espace transfrontalier du paysage du Grand Virunga. En matière de protection de la nature, les initiatives individuelles ont souvent montré leurs limites d’autant plus qu’il existe nombre de défis qu’un pays, à lui tout seul, ne saurait relever : braconnage, déforestation, exploitation illégale de bois et autres types de commerce illégal, insécurité dans l’espace transfrontalier, etc.

Dans l’esprit de ses initiateurs, la collaboration transfrontalière devrait se transformer plus tard en un mécanisme stratégique pour la coordination des efforts, des initiatives et des actions de conservation des ressources naturelles et de la biodiversité partagées par les trois pays dans l’espace transfrontalier du Grand Virunga. Le secrétariat exécutif de GVTC qui a mis en place en 2008 et dont le siège se trouve à Kigali (Rwanda), deviendra alors pleinement opérationnel.  Il a pour mission la coordination des efforts de conservation et la mise en œuvre du Plan stratégique quinquennal de la collaboration transfrontalière. Pour son fonctionnement, les institutions qui gèrent les aires protégées et les gouvernements des pays membres lui apportent leur appui tant politique que technique, tandis que d’autres pays comme la Suède, le royaume de Norvège, les Pays-Bas et certains organismes, en l’occurrence l’USAID, apportent un soutien financier, notamment pour la mise en œuvre de son Plan stratégique.

Deux ans après l’installation du secrétariat exécutif, des experts des trois États ont commencé à travailler sur ce traité. Des concertations ont donc été menées entre les experts de trois pays, de 2010 à 2015, débouchant sur deux rencontres majeures : la première en mars et la seconde en mai 2015 à Kigali où les délégués ont signé le rapport final desdites concertations après avoir harmonisé les divergences sur le projet de traité. Dans leurs recommandations, les experts avaient exhorté les ministres de tutelle à le soumettre rapidement à leurs gouvernements respectifs pour analyse, appropriation et signature. Les trois États s’étaient accordés sur la tenue de la réunion interministérielle qui débouchera sur la signature du traité. C’est cette réunion qui s’est tenue à Kinshasa, du 21 au 22 septembre 2015,  pour signer enfin le traité vieux de 24 ans. Après sa signature par les ministres, le document devra être ratifié aux parlements respectifs de ces trois pays avant d’entrer en vigueur.

Énormes défis 

Le plus difficile est à venir. C’est la mise en œuvre du Plan stratégique. C’est dans ce cadre qu’il sera organisé, en octobre prochain, un recensement des gorilles de montagnes dans le massif du Grand Virunga. GVTC pourra compter sur l’appui financier, technique et scientifique de ses partenaires. Cette activité s’inscrit dans le cadre de la résolution de l’Assemblée générale de l’ONU adoptée, en août, exhortant les États membres à prendre des mesures pour combattre le trafic d’espèces sauvages, notamment en renforçant les législations nationales et la coopération régionale. En effet, dans cette résolution, elle se dit préoccupée par l’ampleur croissante du braconnage et du commerce illicite d’espèces sauvages et de produits qui en sont issus, mais aussi par leurs conséquences économiques, sociales et environnementales néfastes.

L’Assemblée générale de l’ONU s’inquiète tout particulièrement du braconnage de rhinocéros et du massacre d’éléphants qui ont pris des proportions inquiétantes en Afrique. Par conséquent, elle prie instamment les États membres de renforcer la législation et de prendre des mesures de justice pénale pour prévenir, combattre et éradiquer le commerce illicite d’espèces de faune et de flore sauvages.

La résolution demande en outre aux États membres qui ne l’ont pas encore fait de ratifier ou d’adhérer aux instruments internationaux, notamment la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction ; la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée ; et la Convention des Nations unies contre la corruption. D’après le président de l’Assemblée générale de l’ONU, Sam Kutesa, le trafic d’espèces sauvages affecte aussi les moyens de subsistance des communautés locales et diminue l’attrait touristique des lieux. Il compromet par ailleurs les efforts visant à l’éradication de la pauvreté et à la réalisation du développement durable.

Contrebande

Le fléau a pris de l’ampleur ces dernières années en Afrique. En RDC, il est même devenu un sport national. Il y a quelques semaines, cinquante-quatre pointes d’ivoire ont été saisies à la suite d’une plainte introduite par la Direction générale des douanes et accises (DGDA). Au cœur de ce trafic, un Guinéen, qui est parvenu à passer à travers les mailles du filet tendu par le parquet général près la Cour d’appel de Gombe, qui avait procédé à la perquisition de son domicile. Outre les 54 pointes d’ivoire saisies, le parquet avait trouvé du matériel et des intrants pour fabriquer de la fausse monnaie. Parmi les plus grands demandeurs de pointes d’ivoire au monde, on trouve plusieurs pays asiatiques. Des grumes destinées à l’exportation sont régulièrement saisies à Matadi ou dans des ports étrangers comme Anvers, Rotterdam ou Amsterdam. Une tentative d’exportation de ces grumes a été déjouée de justesse en juillet par le tribunal de commerce de Matadi suite à une dénonciation. La justice s’en était mêlée et provoqué une confusion kafkaïenne dans le dossier. Selon des sources, les plus hautes instances du pays avaient été saisies de cette énième pirouette subite de la justice dans cette affaire.  Les abus de pouvoir, le trafic d’influence dans le chef de la justice congolaise dans des dossiers relatifs à l’exploitation illégale du bois sont monnaie courante. En 2014, une affaire des grumes de wenge extraites de la forêt dénommée « Wu » dans le territoire de Kwamouth, province du Bandundu, avait défrayé la chronique. Après des vérifications d’usage, la société qui avait coupé les grumes de Wu n’avait ni droit ni titre sur cette concession forestière. Elle a été condamnée pour infractions d’exploitation illégale, coupe illicite de 773 grumes dans la concession forestière, transport et détention illicite de produits.

Pour faire face aux divers abus, la Direction générale des douanes et accises (DGDA) a conclu, depuis quelques mois, un accord de collaboration avec quelques services publics en vue de lutter efficacement contre la fraude douanière d’espèces rares. Des protocoles de collaboration ont été signés notamment avec la police nationale, la Direction générale de migration (DGM), Interpol et la police judiciaire dans le but de réprimer tout auteur avéré de fraude douanière et d’autres abus à l’exportation ou à l’importation de marchandises. En RDC, le système judiciaire est généralement clément envers ce genre de hors-la-loi. Souvent arrêtés avec forte médiatisation, les trafiquants se retrouvent quelques jours après libres. À l’issue des enquêtes menées tambours battants, des procès bidons sont organisés. Très souvent, le butin issu de la rapine est frauduleusement soustrait. De façon générale, les délinquants étrangers sont refoulés dans leur pays d’origine, avant de réapparaître plus tard sous de fausses identités.


La CITES en mode veille

La Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES ou Convention de Washington) est un accord international entre États. Elle a pour but de veiller à ce que le commerce international de spécimens d’animaux et de plantes sauvages ne menace pas la survie des espèces auxquelles ils appartiennent. Actuellement, la nécessité de convention paraît évidente au vu des informations largement diffusées sur le risque d’extinction de nombreuses espèces emblématiques telles que le tigre et l’éléphant. Cependant, dans les années 1960, à l’époque où l’idée de la CITES commençait à germer, le débat international sur la réglementation du commerce d’espèces sauvages en vue de les conserver ne faisait que commencer.

Avec le recul, la nécessité de la CITES s’impose. On estime que le commerce international d’espèces sauvages représente des milliards de dollars par an et qu’il porte sur des centaines de millions de spécimens de plantes et d’animaux. Ce commerce est varié, allant de plantes et d’animaux vivants à une large gamme de produits dérivés – produits alimentaires, articles en cuir exotiques, instruments de musique en bois, souvenirs pour touristes, remèdes, et bien d’autres encore. L’exploitation et le commerce intensifs de certaines espèces, auxquels s’ajoutent d’autres facteurs tels que la disparition des habitats, peuvent épuiser les populations et même conduire certaines espèces au bord de l’extinction. De nombreuses espèces sauvages faisant l’objet d’un commerce ne sont pas en danger d’extinction mais l’existence d’un accord garantissant un commerce durable est importante afin de préserver ces ressources pour l’avenir. Comme le commerce de plantes et d’animaux sauvages dépasse le cadre national, sa réglementation avait nécessité la coopération internationale pour préserver certaines espèces de la surexploitation. La CITES a été conçue dans cet esprit de coopération. Aujourd’hui, elle confère une protection à des degrés divers à plus de 35 000 espèces sauvages – qu’elles apparaissent dans le commerce sous forme de plantes ou d’animaux vivants, de manteaux de fourrure ou d’herbes séchées. La CITES a été rédigée pour donner suite à une résolution adoptée en 1963 à une session de l’Assemblée générale de l’UICN (l’actuelle Union mondiale pour la nature). Le texte de la convention a finalement été adopté lors d’une réunion des représentants des 80 pays tenue à Washington, aux États-Unis d’Amérique, le 3 mars 1973, avant d’entrer en vigueur le 1er juillet 1975. La CITES est contraignante, les États membres appelés « Parties » sont tenus de l’appliquer. Cependant, elle ne tient pas lieu de loi nationale. C’est plutôt un cadre que chaque partie doit observer et, pour cela, adopter une législation garantissant le respect de la convention au niveau national. Depuis des années, la CITES fait partie des accords sur la conservation de la nature. Elle compte actuellement 181 pays membres.