Le terrorisme menace l’Afrique centrale

Pour perpétrer leurs coups, les terroristes n’y vont pas de main morte. Assoiffés de sang, ils tuent sans discernement en Egypte et en Libye, au Mali et au Nigeria, au Kenya et en Somalie. Inhumains, ils se donnent en spectacle à travers les réseaux sociaux. Attention ! L’Afrique centrale est, depuis, dans l’œil du cyclone.

Malgré les interdits, les mouvements terroristes s’approvisionnent facilement en armes et munitions sur tous les marchés.
Malgré les interdits, les mouvements terroristes s’approvisionnent facilement en armes et munitions sur tous les marchés.

Tragique début d’avril pour le Kenya. Comme foudroyé, le pays de Jomo Kenyatta a dû pleurer cent quarante-huit personnes, dont cent quarante-deux étudiants de l’université de Garissa, tuées par un commando d’islamistes shebabs. Déjà, en septembre 2013, l’attaque du centre commercial Westgate de Nairobi, revendiquée par les mêmes insurgés somaliens, avait coûté la vie à soixante-huit personnes et plus de quatre-vingts blessés. Al-Qaida avait, la première, frappé le Kenya en 1998 en menant un grave attentat contre l’ambassade américaine de Nairobi.

L’Ouganda voisine n’est pas épargnée : soixante-seize personnes ont péri en juillet 2010 au cours d’un double attentat commis à Kampala, l’un dans un restaurant éthiopien, l’autre dans le bar d’un club de rugby, alors que les deux établissements retransmettaient la finale de la Coupe du monde du football. À l’Est de la RD Congo, l’agglomération de Beni, dans la province du Nord-Kivu, est le théâtre quasiment quotidien des massacres ciblés éliminant les élites coutumières locales ainsi que de simples paysans. A en croire les spécialistes de la sous-région, cette forfaiture porterait la signature des fondamentalistes ougandais des ADF-Nalu, qui ont réussi à embrigader des jeunes désœuvrés congolais.

L’Afrique assise sur une poudrière

Al-Qaida, d’abord, et Aqmi dans sa suite, semblaient trop loin des rivages des pays de l’Afrique centrale. Boko Haram et Shebabs passaient pour des fantômes. Les États de la sous-région et leurs services de renseignement pouvaient alors dormir comme un loir. En hibernation permanente. Les drames du Kenya, de l’Ouganda, du Mali, du Cameroun, du Niger, du Tchad et du Nigeria viennent brutalement, enfin, secouer le cocotier. Est-ce que celui-ci sera suffisamment secoué au point de lâcher quelques noix et vieux rameaux ? La réponse, à considérer la complexité de la situation, n’est pas aussi simple.

Voici que, depuis trois ou quatre ans, les médias internationaux inondent l’Afrique des informations qu’un citoyen lambda n’aurait jamais, de son gré, voulu apprendre. Voici que les chaînes de télévisions satellitaires imposent, chaque jour, des images choquantes montrant l’exécution des otages par des bandes de criminels. Aussi paradoxal que soit le contexte, les maîtres d’œuvre de ces crimes crient leur vengeance. L’Afrique, aussi, est désormais assise sur une poudrière.

L’islamisme fondamentaliste et son pendant, l’obscurantisme sanglant, gagnent du terrain. Comme un cancer, ils se propagent à leur guise au contact du fertile terreau que constitue la jeunesse désœuvrée, désespérée, de chaque pays. Le discours manipulateur finit par inhiber la conscience, contaminant insidieusement les jeunes du Nord et du Sud, tout comme ceux de l’Est et de l’Ouest. L’impuissance ou, parfois, la nonchalance des autorités publiques, donne des ailes à ces « fous » qui se prennent à rêver de convertir la planète.

Les terroristes avancent leurs pions

Les terroristes ne visent pas un pays. Ils ont l’ambition de dominer le monde. Il n’y a qu’à observer comment ils avancent leurs pions en Europe, au Moyen Orient, en Afrique, en Amérique, en Chine, en Russie, … pour comprendre que ces anarchistes ne se priveront jamais du plaisir de voir médiatisés chaque jour leurs exploits criminels.

Les Shebabs, rappelons-le, ont attaqué le centre commercial Westgate en septembre 2013 et récidivé à l’université de Garissa, le 2 avril 2015, bien après l’attentat d’Al-Qaida à l’ambassade américaine de Nairobi en 1998. La récurrence de ces tristes événements fait d’emblée penser à de l’acharnement contre le Kenya. Il y a bien d’autres raisons.

Hormis l’épisode Al-Qaida, les deux dernières actions, fièrement revendiquées par les Shebabs, ont un rapport direct avec la participation des troupes kenyanes à la Mission de l’Union africaine en Somalie – Amisom – chargée d’accompagner « le gouvernement fédéral de transition » de la Somalie. Outre le Kenya, l’Ouganda et le Burundi ont fourni des troupes à cette force africaine de paix. Précédant la formation de la force de paix de l’UA, l’Ethiopie avait pris l’initiative de pénétrer en Somalie pour renverser l’Union des tribunaux islamiques (initiatrice de la charia) et sa branche militaire, les Shebabs. C’était la période de la guerre civile. Les troupes éthiopiennes se sont retirées à la fin de 2008, remplacées par l’Amisom.

Une longue et épouvantable guerre 

Plus connu sous le nom de Shebab (jeunesse), le groupe islamiste « Harakat Al-Chabab Al-Moudjahidin » signifie « Mouvement de la jeunesse des moudjahidin ». Avec un effectif estimé entre cinq mille et neuf mille hommes, il apparaît en Somalie en 2006. Il a prêté allégeance à Al-Qaida en 2009. L’Amisom l’a délogé de Mogadiscio, la capitale, en août 2011 ; de Baidoa, en août 2012 et en septembre 2012 du port de Kismayo, poumon économique de la rébellion, libéré par les soldats kenyans. On comprend, dès lors, pourquoi les Shebabs en veulent au Kenya et à qui ils ont promis « une longue et épouvantable guerre ».

Autre menace, autre pays mais même continent. Il s’agit du monstre Boko Haram qui écume au Nigeria et tente de s’exporter chez les voisins. Son nom officiel est « Jama’atu Ahlul Sunna Lidda’awati Wal Jihad ». Traduction : communauté des disciples pour la propagation de la guerre sainte et de l’islam. Dopé par la misère, ce groupe religieux marginal est dorénavant connu par ses initiales : BH pour Boko Haram.

Selon des spécialistes du Nigeria, l’ancrage du Boko Haram dans son fief du Nord-Est s’est effectué sur fond des complicités avec des acteurs politiques locaux. Depuis sa création, Boko Haram a revendiqué des centaines d’attaques, d’attentats-suicides, d’exécutions et de braquages perpétrés jusqu’à Abuja, la capitale du pays. Ses violences ont tué plus d’un millier de personnes, en majorité des Nigérians de confession musulmane. Est-ce la philosophie de l’islamisme ?

Une stratégie commune de lutte contre le terrorisme 

L’Afrique ne doit pas se lamenter. Ni dresser des tribunes pour faire de la rhétorique. Il est temps de passer à l’offensive. Le Conseil de sécurité des Nations unies ne prêche pas autre chose que cela. En prélude au sommet entre la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) et la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (Cééac), qui était prévu le 18 avril 2015 à Malabo, en Guinée équatoriale, le Conseil de sécurité a demandé aux deux organismes sous-régionaux d’adopter une stratégie commune et d’instaurer une coopération et une coordination actives « afin de lutter de manière plus efficace et urgente contre la menace posée par Boko Haram ». Ce faisant, le Conseil a souligné la nécessité d’adopter une approche globale pour réussir dans la lutte contre Boko Haram et la menace qu’il constitue pour la région.

Le Conseil a aussi réaffirmé que le terrorisme « sous toutes ses formes et manifestations …  représente l’une des menaces les plus graves à la paix et à la sécurité internationales ». De ce fait « tout acte terroriste est un acte criminel et injustifiable, quels qu’en soient la motivation, le lieu, le moment ou l’auteur ».

Qu’il s’agisse des Shebabs somaliens ou de Boko Haram nigérian, ou encore d’autres illuminés qui sèment mort et désolation dans leurs pays ou à l’étranger, l’appel du Conseil de sécurité à « adopter une stratégie commune » de coopération et de coordination entre pays et entre sous-régions « afin de lutter de manière plus efficace et urgente contre la menace » que représente le terrorisme, doit être entendu et, surtout, suivi d’application.

La pauvreté les expose les jeunes

Plus aucun pays n’est épargné par la gangrène. Comment en serait-il autrement quand des dizaines de millions de jeunes africains, instruits ou non, sont laissés sur le bord de la route, sans espoir de jamais trouver un premier emploi ? La pauvreté les expose et ils sont la proie facile pour les manipulateurs des consciences.

Pour répondre à l’appel du Conseil de sécurité, il faut encourager les États à, d’abord, agir à l’intérieur des frontières nationales pour décourager la « conversion » des jeunes désœuvrés au fondamentalisme. Cette préoccupation, essentiellement domestique, donnerait l’impulsion à des actions coordonnées que le pays pourrait entreprendre en symbiose avec les voisins.

C’est alors seulement que les services de renseignements nationaux pourraient servir à quelque chose, étant donné qu’ils auront à travailler dans un climat local aseptisé. C’est alors seulement que pourrait, aussi, s’instaurer entre pays, entre sous-régions d’Afrique, « une coopération et une coordination actives » destinées à lutter contre le terrorisme « sous toutes ses formes ».