Financer la transformation de l’Afrique

Au moment où s’ouvre la conférence d’Addis Abeba sur le financement du développement, Carlos Lopes et Amina J. Mohammed plaident pour la mobilisation de ressources nouvelles, issues du secteur privé, du marché obligataire, des banques centrales ou des fonds de financement du climat.

La course pour la réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) touche à sa fin. Pour autant, les efforts vont encore redoubler car il faut désormais passer le relais au programme de développement pour l’après-2015. Ce dernier comprend des objectifs mondiaux intéressant l’humanité et la planète, que les dirigeants du monde devront adopter en septembre prochain aux Nations Unies. Dans quelle mesure l’Afrique est-elle prête à s’engager dans ce programme de développement universel révolutionnaire ?

Le continent a amorcé ces quinze dernières années une série de transformations. Bien que partis du point le plus bas des cibles des OMD, les pays africains ont accompli des résultats exceptionnels grâce à la volonté politique et à des efforts considérables. Si elle n’a pas atteint tous les objectifs, l’Afrique peut s’enorgueillir d’en avoir réalisé d’aussi importants que la réduction de moitié du pourcentage d’enfants de moins de 5 ans présentant une insuffisance pondérale ou la réduction considérable du nombre des décès dus au sida et au paludisme. Elle a également enregistré une forte croissance économique, 5 % par an en moyenne, soit un niveau constamment supérieur aux tendances mondiales.

Huit des dix pays les plus performants du monde en termes de croissance se trouvent en Afrique. Mais la croissance seule ne suffit pas.

Malgré ces progrès, il reste à l’Afrique de nombreux défis à relever si elle veut prendre une avance et la garder. Parmi ces défis, les plus pressants sont la mobilisation de l’énergie et du talent de ses populations, en particulier des jeunes et des femmes, et la réduction des inégalités croissantes ainsi que de la pauvreté et du chômage, qui tous freinent le potentiel productif du continent.

Certes, huit des dix pays les plus performants du monde en termes de croissance se trouvent en Afrique. Mais la croissance seule ne suffit pas. Il faut en plus un changement décisif – celui qui va transformer le continent et le mettre sur la voie d’une croissance porteuse de transformation et s’inscrivant en droite ligne de la vision énoncée dans l’Agenda 2063.

L’Afrique a besoin d’un nouveau paradigme politique permettant de créer des emplois et des moyens de subsistance, de donner aux femmes des moyens d’action et de doter la jeunesse de compétences essentielles. Il s’agit de conditions indispensables pour réduire la pauvreté et assurer à la cohésion sociale, la stabilité politique et la croissance productive. Le développement durable dépendra d’une transformation structurelle de l’économie reposant sur une base industrielle et agricole forte et soutenue par l’infrastructure, l’investissement dans les personnes et la protection de la planète. Ce sont les femmes, les jeunes et les personnes les plus vulnérables qui pâtissent le plus des pratiques non viables et qui sont les plus directement confrontés aux problèmes imbriqués d’eau, de nourriture et d’énergie. La croissance économique ne contribuera au progrès social que si l’environnement est protégé. C’est alors seulement que le continent pourra rivaliser équitablement avec d’autres sur le marché mondial, accroître sa part de la richesse mondiale et procurer des avantages concrets à ses populations.

Les priorités du continent définies dans la Position commune africaine sur le programme de développement pour l’après-2015 et dans l’Agenda 2063 concordent avec les objectifs de développement durable proposés. Ces instruments resteront, cependant, au stade de simple rhétorique si le continent ne trouve pas les moyens nécessaires à la transformation de cette vision en réalité. Ce qui fera véritablement la différence, c’est la satisfaction des besoins du continent en financement adéquat, prévisible et durable, qui permettra de tirer parti de l’occasion qui lui est offerte d’une transformation décisive.

L’aide doit compléter les aspirations de développement de l’Afrique, et non pas s’y substituer, comme ce fut le cas dans le passé.

Les besoins de financement pour le développement durable en Afrique sont élevés, mais un changement de paradigme permettra de réaliser la rupture nécessaire au déblocage des ressources pour financer cette transformation. Du fait de la diminution de l’aide au développement et du changement intervenu dans l’environnement mondial du financement du développement, on s’accorde à reconnaître que l’aide doit compléter les aspirations de développement de l’Afrique, et non pas s’y substituer, comme ce fut le cas dans le passé. La solution consiste à rechercher des sources de financement innovantes, en faisant appel à de nouveaux partenariats, à des instruments novateurs de mobilisation de ressources, au secteur privé et aux fonds de financement du climat.

Pour mobiliser des ressources financières au niveau national, il faudrait, entre autres mesures, élaborer des instruments de financement qui, comme les fonds de capital-investissement, permettent d’intégrer l’Afrique dans les marchés financiers internationaux et facilitent le commerce intra-africain ; renforcer le rôle des marchés obligataires, des fonds de pension et des fonds souverains pour stimuler les investissements ; améliorer l’environnement politique et réglementaire, ce qui implique des réformes de l’administration fiscale et des réformes juridiques, notamment celles de la législation sur l’investissement de fonds publics et les réserves de change internationales des banques centrales et des banques de réserve et créer les capacités humaines, technologiques et institutionnelles nécessaires.

La sortie illicite de capitaux prive chaque année l’Afrique d’au moins 50 iards de dollars

Au niveau mondial, il convient de réformer la gouvernance économique et financière afin d’améliorer les conditions d’accès aux marchés de capitaux ; d’intensifier la coopération internationale en faveur de la transparence dans les industries extractives en Afrique ; de lutter contre la sortie illicite des capitaux, qui prive le continent chaque année d’au moins 50 milliards de dollars et d’élargir la marge de manœuvre budgétaire de l’Afrique.

La troisième Conférence internationale sur le financement du développement, l’adoption du programme de développement pour l’après-2015, notamment les objectifs de développement durable, et la conclusion d’un accord sur les changements climatiques, prévues respectivement en juillet, septembre et décembre prochains, revêtent à cet égard une importance cruciale. Ces événements offrent ensemble l’occasion de renouveler l’engagement universel d’éradiquer la pauvreté de manière irréversible, de lutter contre les inégalités et de protéger la planète, notamment grâce à des actions en faveur du climat qui placeront le monde sur une trajectoire ambitieuse de développement durable. L’Afrique est prête. Elle a déjà les moyens ; ce qu’il lui faut à présent, c’est l’impulsion, l’ambition et la volonté d’amener la transformation à ses populations.

(*) Carlos Lopes est secrétaire général adjoint des Nations unies et secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique.

(*) Amina J. Mohammed est la conseillère spéciale du secrétaire général Ban Ki-moon pour la planification développement de l’après 2015.